La plate-forme de négoces de devises, basée à Genève, avait été rachetée par le courtier américain peu avant que celui-ci ne tombe en faillite. Les trois fondateurs, dont Nick Bang, racontent deux ans d’angoisse. On les sent soulagés. Les trois fondateurs d’ACM (pour Advanced Currency Markets) peuvent tourner la page: Alexandre Axarlis, Lloyd La Marca et Nicholas Bang ont réussi à racheter pour 20 millions de dollars la part que détenait le broker en faillite Refco dans leur société. «Il a fallu se battre pour sauver notre entreprise», lâche Lloyd La Marca.

Depuis le milieu des années 1990, les trois associés s‘activent dans le négoce des devises, l’un des hauts lieux de la spéculation mondiale. Dans ce marché, les réputations se font et se défont rapidement. Les prises de risque sont maximales. Très vite, ils comprennent que leur métier va profondément changer avec l’avènement d’Internet. Forts de ce constat, les idées fusent. Ils décident de mettre au point une plateforme de trading en ligne. Le projet prendra trois ans pour être finalisé Le bébé sera lancé à l’automne 2002. Un bébé tout en technologie né de leur rencontre avec un informaticien génial. Un spécialiste en logiciels qui a monté de A à Z leur outil de négoce. «A notre grande surprise, la plateforme s’est révélée rentable en quelques semaines, se souvient Lloyd La Marca. Et le nombre de clients a carrément explosé l’année suivante.»

Jamais ils n’auraient imaginé la tournure que les choses allaient prendre, début 2004, lorsqu’ils sont approchés par Refco. Le courtier américain veut les racheter. La décision est prise rapidement. Les trois associés cèdent 51% du capital d’ACM en juillet de la même année «Cette transaction semblait être une assurance pour l’avenir confie Lloyd La Marca Refco s’engageait à basculer 50 000 comptes chez nous et nous allions pouvoir nous appuyer sur ce nom, alors d’excellente réputation, pour acquérir davantage de clients.»

A l’époque, tout allait (du moins en surface) pour le mieux chez Refco. Le broker spécialisé dans les matières premières et les contrats à terme (futures) réussissait même une entrée triomphale en bourse à l’été 2005. Pourtant la gangrène avait déjà commencé à attaquer. A peine deux mois plus tard, les pertes cachées par son président-directeur général, Phillip Bennett, faisaient plonger la firme. Le réveil a été difficile pour ACM.

Une reprise en main indispensable

Quatre années après le scandale Enron, l’avalanche provoquée par Refco menaçait d’emporter la société genevoise. «En quelques jours, nous avons assisté à la faillite d’un groupe valant 4,5 milliards de dollars, se souvient Nicholas Bang. Il a fallu réagir, faire front commun pour rassurer nos clients.»
Les dirigeants d’ACM réfléchissent. Les trois associés doivent éviter que leur firme ne tombe dans la masse en faillite. Les nuits deviennent agitées «A l’époque, il était devenu impossible de joindre les dirigeants de Refco», se rappelle Alexandre Axarlis. Que faire ? Un premier pion est avancé : en novembre 2005, ils procèdent à une augmentation de capital qui dilue de 51% à 25% la participation de Refco dans leur société. Un coup de maître qui leur permet de reprendre le contrôle.

Cette reprise en main s’avère indispensable pour éviter que la clientèle ne quitte le bateau. «Il fallait leur prouver que nous n’étions pas en péril», confirme Nick Bang. Les clients ont été convaincus par cette opération. «Leur nombre a triplé depuis l’automne 2005», affirme l’associé. Dans le détail, 15 000 clients utiliseraient aujourd’hui la plate-forme d’ACM. «70% sont des privés et 30% des professionnels, principalement de petites banques à la disposition desquelles nous mettons notre technologie», ajoute Nicholas Bang. Dans le même temps, le volume mensuel de monnaies traitées serait passé de 35 à 100 milliards de dollars.

La partie n’est pas gagnée pour autant. L’augmentation de capital ne sera que la première étape d’un parcours semé d’embûches. Aux États-Unis, le courtier refuse de perdre le contrôle, de voir sa participation diluée dans ACM. Les tribunaux genevois sont saisis. Mais Refco est débouté à fin 2005. Elle fera encore appel. Parallèlement, les liquidateurs de Refco souhaitent vendre aux enchères la part détenue dans ACM. Les cofondateurs d’ACM réagissent. Ils font bloquer la participation afin qu’elle ne puisse pas être cédée. «Nous voulions être en mesure de choisir nos actionnaires», précise Lloyd La Marca. Dès lors, le trio n’a plus qu’une idée en tête: racheter la part de 25% que la défunte Refco détient encore dans leur firme. Un rachat qui leur permettrait de reprendre le contrôle sur leurs affaires. Il éloignerait aussi le spectre de la longue bagarre juridique que l’appel de Refco, toujours pendant devant les tribunaux genevois, laisse entrevoir.

Une concurrence qui flaire le bon coup

Début 2006, la participation de Refco bloquée, les liquidateurs américains sont forcés de négocier avec ACM. Mais rien n’est clair. «C’était horrible, nous sommes passés du chapitre 11 au chapitre 7 et les personnes de contact n’arrêtaient pas de changer, se remémore Lloyd La Marca. En plus, deux entités distinctes de Refco détenaient nos actions.» La gestion des affaires courantes devient plus délicate. «Nous avions tout le temps l’affaire en tête, c’était très difficile de se concentrer sur le travail quotidien, explique Nicholas Bang. Nous ne voyions pas le bout du tunnel.» Les semaines sont rythmées par les réunions chez les avocats. La pression augmente encore. Quelques courtiers ayant flairé le bon coup tentent de les racheter. Les trois associés refusent.

Ont-ils songé à abandonner, à vendre ? L’idée leur a certainement traversé l’esprit. Mais le trio est coriace et refuse de lâcher prise. «Le lien avec notre entreprise est l’émotionnel confie Lloyd La Marca. Nous nous sentons véritablement responsables vis-à-vis de nos 90 employés.» Mais les trois partenaires sentent que les choses ont assez traîné. A fin 2006, ils s’appuient sur une nouvelle équipe d’avocats qui prend l’affaire en mains aux États-Unis. Et le miracle se produit. «Cela a donné un véritable coup d’accélérateur, constate Alexandre Axarlis. Tout a été réglé en deux mois.» En avril, ils finalisent le rachat de la participation de Refco pour 20 millions de dollars. «Je crois qu’on s’en est finalement bien sorti», estime Nicholas Bang, soulagé. Les affaires peuvent reprendre leur cours normal. Enfin !